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LILLE - BASTIA

22 septembre 2001

par L'irlandese



A coup sûr, ce déplacement ne fera pas date dans la glorieuse histoire de la furia bastiae des supporters du SCB. Mais pour moi, néophyte absolu en la matière (la dernière fois que j'ai mis les pieds à Furiani, j'avais quatre ou cinq ans), cet épisode marque peut être l'alpha d'une nouvelle ère.
Nous voici donc ce samedi, à 15H30 à Montparnasse, où un lieu de rendez-vous secret a été fixé. La 806 de location, drivée par Diego, se gare le long du trottoir. Monsieur B. (un accanitu de première sous ses dehors affables) en descend et se précipite au comptoir du snack ou Tony et " Paulie U Vomitu " déjeûnent d'un savoureux Panini Tomate Granola Béchamel. Nous nous engouffrons dans le monospace, direction Porte de Pantin où nous attend SonJo, qui filme notre arrivée caméra au poing. Nous sommes donc six dans la voiture : Diego, Monsieur B., Tony, Paulie et votre serviteur (l'Irlandese). Le voyage vers Lille dure moins d'une heure et demie, rapidement passée à analyser les mérites comparés des actrices de films de cul (Paulie, très classique, adore Jenna Jameson, tandis que Monsieur B. reste fidèle à Kobe Tai. Moi, ma préférée restera à jamais, la " Grande Madame ", la première d'entre toutes : Traci Lords). La conversation est rythmée, comme il se doit, des accents guerriers de " Sò elli ", " A Palatina ", " U Culombu ", et autres chants de propagande que j'aime à diffuser à fond, les fenêtres de mon studio ouvertes sur la petite cour intérieure où les voisins Gaulois subissent sans broncher ces assauts musico-politiques.
Arrivés à l'hôtel des joueurs, dans la banlieue de nulle part - c'est à dire de Lille -, nous recevons des consignes du Président Nicolaï : on ne répond pas aux provocations car nous sommes attendus au tournant. Sauf en cas d'embrouille avérée, il nous est demandé de ne pas faire usage de nos armes : front, tête, poings et pieds, coudes et genoux. " S'il faut mettre des gifles, on vous le dira. Sinon, ne bougez pas ".
Le départ vers le stade est annoncé. Pa, la sœur de Diego, nous a rejoint. La tension monte, écharpes aux fenêtres, escortés par des motards, warning allumés, nous hurlons à la face des conducteurs lillois - d'abominables faccie d'attardés, surmontées d'improbables coupes de cheveux à la DuGuesclin - notre rage supportrice.
Arrivés au stade, nous garons d'autorité le monospace derrière le car des joueurs et pénétrons dans l'enceinte. Personne. Seuls, quelques mongos nordistes trustent les places de prolétaires derrière les cages bastiaises. Parmi eux, un pithécanthrope torse nu arbore un énorme plâtre au petit doigt de la main gauche… On dirait Jeannot Moncaillan (les Bastiais de moins de trente ans demanderont à leur père de leur raconter la vie de cette sympathique figure bastiaccia, qui remuait son doigt pansé sous les yeux de ses interlocuteurs en répétant " M'ha murzicatu u gattu… U gattu m'ha murzicatu ").
Nous prenons place au milieu d'une tribune de Lillois, qui finissent par arriver petit à petit. Paulie U Vomitu se met en train en marmonnant quelques insultes entre deux bouffées de Marlboro, SonJo scrute les tribunes de son œil inquisiteur, tandis que Diego et Monsieur B. m'expliquent les subtilités du hors jeu (" si le dernier défenseur, il est derrière l'attaquant qui a reçu le ballon, il en faut deux avec le gardien sauf si le ballon il est parti du milieu du terrain et que l'avant centre, il est en position offensive au marquage… T'ias compris ? ").
Devant nous, l'attitude de deux sympathiques familles nous étonne. Ces personnes au demeurant charmantes se moquent ouvertement de la musique diffusée à la gloire du LOSC (une sorte de compil Bézu-Les Musclés avec l'accent du Nord " Ollez Ollez les Lilloâs, On boit tous de la Stellâââ… ")… Les joueurs entrent sur le terrain… A l'énoncé du nom de chaque Lillois, les familles (y compris le petit gros qui s'est mis de la mayo partout) hurlent " Enculéééééé "… Nous sommes de plus en plus étonnés. Nous manquons d'avaler nos clopes lorsque l'on voit le père de la famille n°1 se lever et faire force bras d'honneur à la tribune de supporters noirs et rouges. Renseignements pris, il s'agit de Lillois fanatiques de l'ASSE, qui sont donc venus soutenir Nouzaret. L'un d'eux est même président de l'association des supporters de Saint Etienne à Lille. " Nous autres, on les déteste, les Lillois… " Nous nous inclinons devant cette mentalité de guerriers schizophrènes.
Le match commence. Je ne comprends rien, mais je hurle comme un malade. Le mezz'omu avec le doigt pansé est abreuvé d'insultes : " Je vais te casser les autres doigts, o bastardacciu ", " On va t'envoyer Bonnet, inculatu "…
Un moment, dans un silence de cathédrale, SonJo, qui ne disait plus rien depuis le début de la rencontre, se lève et hurle en direction de la tribune " O mansa di taliban, on va vous pilonner !!! ". Aussitôt, ces petits singes sortent de leur léthargie. " Ouga Ouga Bouga " crient-ils dans notre direction (c'est du Lillois, on peut pas comprendre)… Autour de nous, la colère commence à gronder. J'adooore. Imperceptiblement, Diego enfile ses gants de cuir. Et c'est l'explosion quand Fahmi fait son attentat sur Vairelles devant nous. Sept fous furieux se lèvent ensemble au milieu de la tribune et injurient le joueur devant des supporters lillois médusés. " On va te tuer enculé de ta putain de race ", " t'avemu da crepà "… Pour ma part, surfant sur la vague d'anti-islamisme ambiant, je risque un " Tu périras par le glaive des Chevaliers de l'Ordre de la Milice du Christ, chien d'infidèle ". De toute façon, personne ne comprend rien parce qu'on hurle tous en même temps. L'impression barbaresque que nous faisons sur le rougeaud du Nord n'en est que plus évidente. Les regards deviennent hostiles. De loin, un vieux nous fait signe d'y aller doucement… Je me lève et l'insulte directement " Je vais venir te débrancher le pacemaker, o babbò ", et autres " Baisse les yeux, singe " (une expression que le Monsieur Jean, un autre ami, avait coutume de sortir en boîte aux videurs qui venaient invariablement le tirer de la merde dans laquelle il se mettait).
Nouvelle explosion lorsque Bastia ouvre la marque. Je manque de périr étouffé entre Diego et Monsieur B. qui s'étreignent comme des grosses tarlouzes. Autour de nous, c'est la consternation, qui se mue bientôt en franche haine. Je suis au bord de l'éjaculation. Se savoir en infériorité numérique absolue, entouré de supporters adverses, et constater que personne n'ose bouger parce que notre réputation de sauvagerie (Gloire à vous, nos vaillants anciens) nous a précédé, c'est quand même le top du top niveau.
Malheureusement, notre joie est de courte durée. Le petit enculé de Fahmi égalise. Pris de confiance, le vieux de tout à l'heure se lève et nous insulte… Je retiens Monsieur B. qui manque de se ruer vers le téméraire… Celui là, alors… (Un jour, dans la frénésie d'un match, je suis sûr que je pourrai encarter Monsieur B. Une fois par semaine, le samedi entre 21H et 22H00 il est plus nationaliste qu'une meute de barbus du Rancho).
Nous redoublons d'ardeur à soutenir les Bastiais, mais rien n'y fait. Peu à peu, sous la pression physique des Lillois, les Turchini cèdent du terrain… C'est la confusion… Je pressens le pire…qui arrive à la dernière seconde d'un temps additionnel bizarrement décompté. Autour de nous, les supporters lillois jubilent… Nous nous répandons en insultes. Un mongo rouge-et-noirisé se rue contre la grille des supporters bastiais… Diego se précipite comme un malade. Le Lillois et ses copains, une bonne demi-douzaine d'attardés consanguins qui se déplacent en se dandinant comme des macaques en bordée noire refluent en désordre. On dirait une équipe de razzoni en perdition… L'un d'eux culbute contre un siège avec une expression de terreur qui rend encore plus grimaçante sa faccia vérolée de fils de son oncle. SonJo, falzu cum'una volpe a fait le tour… Ces deux malades de Diego et SonJo ont voulu, à deux, " prendre en tenaille " dix supporters adverses. Mais un stadier intervient. Malheureusement, il est très sympathique, d'une sympathie désarmante, même. Il se précipite sur les Lillois et les chasse d'un geste de marabout africain. Comme une nuée de topi pinuti malingres, ceux ci se dispersent à la vitesse d'une famille de gaulois égarée aux Ghjurnate. En deux minutes, la tribune est vide… Je hasarde une éventualité : et si nous allions attendre, en désespoir de cause, le gros idiot de tout à l'heure, avec le doigt dans le plâtre. Mais le stadier craint pour nous (Ha Ha Ha, c'est gentil, mais bon…). Il veut à tout prix nous raccompagner. De toute façon, il n'y a plus personne.
Lentement, nous regagnons la voiture… Direction Paris. Une halte dans une station service sur le bord de l'autoroute marquera l'épilogue de cette " sortie " : devant une improbable équipe conjuguant la pouffe en bas résille et le play boy ripoliné (le pull rentré dans le pantalon avec la grosse boucle de ceinture), nous dévalisons littéralement les étalages : près d'un kilo de M&M's, trois bouteilles de Yop, huit paquets de Granola, des Pépito, des sandwiches au jambon, du chocolat chaud, des Coca et des chewing-gum. Le caissier manque de se suicider.
Nous ruminons, dans la voiture.

Mais la prochaine fois, c'est juré, je sbrimberai le premier venu…
Foi de Fenian

L'Irlandese