A
coup sûr, ce déplacement ne fera pas date dans
la glorieuse histoire de la furia bastiae des supporters du
SCB. Mais pour moi, néophyte absolu en la matière
(la dernière fois que j'ai mis les pieds à Furiani,
j'avais quatre ou cinq ans), cet épisode marque peut
être l'alpha d'une nouvelle ère.
Nous voici donc ce samedi, à 15H30 à Montparnasse,
où un lieu de rendez-vous secret a été
fixé. La 806 de location, drivée par Diego, se
gare le long du trottoir. Monsieur B. (un accanitu de première
sous ses dehors affables) en descend et se précipite
au comptoir du snack ou Tony et " Paulie U Vomitu "
déjeûnent d'un savoureux Panini Tomate Granola
Béchamel. Nous nous engouffrons dans le monospace, direction
Porte de Pantin où nous attend SonJo, qui filme notre
arrivée caméra au poing. Nous sommes donc six
dans la voiture : Diego, Monsieur B., Tony, Paulie et votre
serviteur (l'Irlandese). Le voyage vers Lille dure moins d'une
heure et demie, rapidement passée à analyser les
mérites comparés des actrices de films de cul
(Paulie, très classique, adore Jenna Jameson, tandis
que Monsieur B. reste fidèle à Kobe Tai. Moi,
ma préférée restera à jamais, la
" Grande Madame ", la première d'entre toutes
: Traci Lords). La conversation est rythmée, comme il
se doit, des accents guerriers de " Sò elli ",
" A Palatina ", " U Culombu ", et autres
chants de propagande que j'aime à diffuser à fond,
les fenêtres de mon studio ouvertes sur la petite cour
intérieure où les voisins Gaulois subissent sans
broncher ces assauts musico-politiques.
Arrivés à l'hôtel des joueurs, dans la banlieue
de nulle part - c'est à dire de Lille -, nous recevons
des consignes du Président Nicolaï : on ne répond
pas aux provocations car nous sommes attendus au tournant. Sauf
en cas d'embrouille avérée, il nous est demandé
de ne pas faire usage de nos armes : front, tête, poings
et pieds, coudes et genoux. " S'il faut mettre des gifles,
on vous le dira. Sinon, ne bougez pas ".
Le départ vers le stade est annoncé. Pa, la sur
de Diego, nous a rejoint. La tension monte, écharpes
aux fenêtres, escortés par des motards, warning
allumés, nous hurlons à la face des conducteurs
lillois - d'abominables faccie d'attardés, surmontées
d'improbables coupes de cheveux à la DuGuesclin - notre
rage supportrice.
Arrivés au stade, nous garons d'autorité le monospace
derrière le car des joueurs et pénétrons
dans l'enceinte. Personne. Seuls, quelques mongos nordistes
trustent les places de prolétaires derrière les
cages bastiaises. Parmi eux, un pithécanthrope torse
nu arbore un énorme plâtre au petit doigt de la
main gauche
On dirait Jeannot Moncaillan (les Bastiais
de moins de trente ans demanderont à leur père
de leur raconter la vie de cette sympathique figure bastiaccia,
qui remuait son doigt pansé sous les yeux de ses interlocuteurs
en répétant " M'ha murzicatu u gattu
U gattu m'ha murzicatu ").
Nous prenons place au milieu d'une tribune de Lillois, qui finissent
par arriver petit à petit. Paulie U Vomitu se met en
train en marmonnant quelques insultes entre deux bouffées
de Marlboro, SonJo scrute les tribunes de son il inquisiteur,
tandis que Diego et Monsieur B. m'expliquent les subtilités
du hors jeu (" si le dernier défenseur, il est derrière
l'attaquant qui a reçu le ballon, il en faut deux avec
le gardien sauf si le ballon il est parti du milieu du terrain
et que l'avant centre, il est en position offensive au marquage
T'ias compris ? ").
Devant nous, l'attitude de deux sympathiques familles nous étonne.
Ces personnes au demeurant charmantes se moquent ouvertement
de la musique diffusée à la gloire du LOSC (une
sorte de compil Bézu-Les Musclés avec l'accent
du Nord " Ollez Ollez les Lilloâs, On boit tous de
la Stellâââ
")
Les joueurs
entrent sur le terrain
A l'énoncé du nom
de chaque Lillois, les familles (y compris le petit gros qui
s'est mis de la mayo partout) hurlent " Enculéééééé
"
Nous sommes de plus en plus étonnés.
Nous manquons d'avaler nos clopes lorsque l'on voit le père
de la famille n°1 se lever et faire force bras d'honneur
à la tribune de supporters noirs et rouges. Renseignements
pris, il s'agit de Lillois fanatiques de l'ASSE, qui sont donc
venus soutenir Nouzaret. L'un d'eux est même président
de l'association des supporters de Saint Etienne à Lille.
" Nous autres, on les déteste, les Lillois
" Nous nous inclinons devant cette mentalité de
guerriers schizophrènes.
Le match commence. Je ne comprends rien, mais je hurle comme
un malade. Le mezz'omu avec le doigt pansé est abreuvé
d'insultes : " Je vais te casser les autres doigts, o bastardacciu
", " On va t'envoyer Bonnet, inculatu "
Un moment, dans un silence de cathédrale, SonJo, qui
ne disait plus rien depuis le début de la rencontre,
se lève et hurle en direction de la tribune " O
mansa di taliban, on va vous pilonner !!! ". Aussitôt,
ces petits singes sortent de leur léthargie. " Ouga
Ouga Bouga " crient-ils dans notre direction (c'est du
Lillois, on peut pas comprendre)
Autour de nous, la colère
commence à gronder. J'adooore. Imperceptiblement, Diego
enfile ses gants de cuir. Et c'est l'explosion quand Fahmi fait
son attentat sur Vairelles devant nous. Sept fous furieux se
lèvent ensemble au milieu de la tribune et injurient
le joueur devant des supporters lillois médusés.
" On va te tuer enculé de ta putain de race ",
" t'avemu da crepà "
Pour ma part, surfant
sur la vague d'anti-islamisme ambiant, je risque un " Tu
périras par le glaive des Chevaliers de l'Ordre de la
Milice du Christ, chien d'infidèle ". De toute façon,
personne ne comprend rien parce qu'on hurle tous en même
temps. L'impression barbaresque que nous faisons sur le rougeaud
du Nord n'en est que plus évidente. Les regards deviennent
hostiles. De loin, un vieux nous fait signe d'y aller doucement
Je me lève et l'insulte directement " Je vais venir
te débrancher le pacemaker, o babbò ", et
autres " Baisse les yeux, singe " (une expression
que le Monsieur Jean, un autre ami, avait coutume de sortir
en boîte aux videurs qui venaient invariablement le tirer
de la merde dans laquelle il se mettait).
Nouvelle explosion lorsque Bastia ouvre la marque. Je manque
de périr étouffé entre Diego et Monsieur
B. qui s'étreignent comme des grosses tarlouzes. Autour
de nous, c'est la consternation, qui se mue bientôt en
franche haine. Je suis au bord de l'éjaculation. Se savoir
en infériorité numérique absolue, entouré
de supporters adverses, et constater que personne n'ose bouger
parce que notre réputation de sauvagerie (Gloire à
vous, nos vaillants anciens) nous a précédé,
c'est quand même le top du top niveau.
Malheureusement, notre joie est de courte durée. Le petit
enculé de Fahmi égalise. Pris de confiance, le
vieux de tout à l'heure se lève et nous insulte
Je retiens Monsieur B. qui manque de se ruer vers le téméraire
Celui là, alors
(Un jour, dans la frénésie
d'un match, je suis sûr que je pourrai encarter Monsieur
B. Une fois par semaine, le samedi entre 21H et 22H00 il est
plus nationaliste qu'une meute de barbus du Rancho).
Nous redoublons d'ardeur à soutenir les Bastiais, mais
rien n'y fait. Peu à peu, sous la pression physique des
Lillois, les Turchini cèdent du terrain
C'est la
confusion
Je pressens le pire
qui arrive à
la dernière seconde d'un temps additionnel bizarrement
décompté. Autour de nous, les supporters lillois
jubilent
Nous nous répandons en insultes. Un mongo
rouge-et-noirisé se rue contre la grille des supporters
bastiais
Diego se précipite comme un malade. Le
Lillois et ses copains, une bonne demi-douzaine d'attardés
consanguins qui se déplacent en se dandinant comme des
macaques en bordée noire refluent en désordre.
On dirait une équipe de razzoni en perdition
L'un
d'eux culbute contre un siège avec une expression de
terreur qui rend encore plus grimaçante sa faccia vérolée
de fils de son oncle. SonJo, falzu cum'una volpe a fait le tour
Ces deux malades de Diego et SonJo ont voulu, à deux,
" prendre en tenaille " dix supporters adverses. Mais
un stadier intervient. Malheureusement, il est très sympathique,
d'une sympathie désarmante, même. Il se précipite
sur les Lillois et les chasse d'un geste de marabout africain.
Comme une nuée de topi pinuti malingres, ceux ci se dispersent
à la vitesse d'une famille de gaulois égarée
aux Ghjurnate. En deux minutes, la tribune est vide
Je
hasarde une éventualité : et si nous allions attendre,
en désespoir de cause, le gros idiot de tout à
l'heure, avec le doigt dans le plâtre. Mais le stadier
craint pour nous (Ha Ha Ha, c'est gentil, mais bon
). Il
veut à tout prix nous raccompagner. De toute façon,
il n'y a plus personne.
Lentement, nous regagnons la voiture
Direction Paris.
Une halte dans une station service sur le bord de l'autoroute
marquera l'épilogue de cette " sortie " : devant
une improbable équipe conjuguant la pouffe en bas résille
et le play boy ripoliné (le pull rentré dans le
pantalon avec la grosse boucle de ceinture), nous dévalisons
littéralement les étalages : près d'un
kilo de M&M's, trois bouteilles de Yop, huit paquets de
Granola, des Pépito, des sandwiches au jambon, du chocolat
chaud, des Coca et des chewing-gum. Le caissier manque de se
suicider.
Nous ruminons, dans la voiture.
Mais
la prochaine fois, c'est juré, je sbrimberai le premier
venu
Foi de Fenian
L'Irlandese